Œuvres choisies — Exposition
Les œuvres réunies dans cette exposition proviennent de deux séries antérieures de l’artiste, créées entre 2009 et 2015. Dans une ouverture manifeste au ressenti des lieux, les peintures, dessins, gravures et céramiques prennent pour sujet commun les bâtiments de bois et le passage du temps. Ainsi présentées dans le contexte lavallois, les œuvres alimentent une réflexion de circonstance sur nos rapports affectifs au bâti et à la nature.
Les granges
Depuis le début des années 2000, l’univers agricole se trouve dans la mire de l’artiste. Le paysage rural est en pleine transition, tout particulièrement en zones suburbaines, mais également au cœur des régions. Chaque année au Québec, plus de 500 fermes disparaissent (selon Statistique Canada), la plupart du temps pour laisser place à différents projets de développement, allant de nouveaux parcs immobiliers aux parcs industriels ou centres d’achats à grandes surfaces, et ce phénomène est mondial.
Le travail de l’artiste questionne indirectement cette réorganisation physique et vocationnelle des zones agricoles vers un modèle urbain mondial uniformisant. La négligence et la rapidité avec laquelle ce territoire est transformé, inspirent à Martel des œuvres aux ambiances surréalistes ou symboliques, dans lesquelles elle revalorise ces espaces et bâtisses laissées pour compte, figeant le temps et magnifiant ce qui en reste. L’architecture devient alors réflexive et intrigue, aux interstices du réel et de la fiction. Pour Martel, la grange traditionnelle est donc utilisée comme le symbole architectural du déclin agricole en zones suburbaines. Elle tente en quelque sorte d’« iconiser » ce symbole, qu’on associe malheureusement parfois à une époque viscéralement rejetée au Québec — l’époque Duplessis — ou par la même occasion à la peinture traditionnelle du début du 20e siècle. Le lourd bagage religieux et politique que traînent avec eux ces édifices est omniprésent, mais en voulant oublier ces « reliques » — qui sont pourtant les témoins bien actuels de changements majeurs — peut-être oublions-nous du même coup de porter un regard attentif vital à ce qui se passe sur nos terres.
Dawson City
En 2009, dans le cadre d’un programme de résidence artistique, Marie-Ève Martel a l’opportunité de demeurer six mois à Dawson City, au Yukon.
Édifiée sur la rive de la Yukon River, la ville et son architecture de bois, déjà passablement vulnérable, est victime de l’affaissement des sols causé par la fonte du pergélisol. À la fonte printanière, il n’est pas rare que l’eau monte par-dessus les trottoirs suspendus et jusqu’au seuil des maisons. Fondée au moment de la « Ruée vers l’or du Klondike », cette ville minière semblable aux villes du Far West fût jadis une des municipalités les plus riches et peuplées du pays ; aujourd’hui, sa population est d’à peine 1,400 habitants. Mais pour conserver son attrait touristique, Dawson City applique une politique de conservation de l’architecture qui encadre la restauration du patrimoine bâti et oblige même les nouvelles constructions à respecter le style d’antan.
Dans son travail, l’artiste rend compte de l’atmosphère étrange de cette ville du Nord à l’architecture figée dans le temps, abandonnée par les chercheurs d’or et menacée par les changements climatiques. Elle propose de prendre la situation de Dawson City comme un symbole, mettant en lumière les conséquences et l’impasse d’un développement économique basé sur l’exploitation des ressources naturelles.