La famille
Pour le projet La famille, l’artiste Christian Bujold a réalisé, de façon périodique au fil d’une année, des visites dans la maison privée d’une famille du quartier Sainte-Rose, en l’absence de ses habitants. Par l’intermédiaire du centre d’artistes et d’un protocole d’entente régulant les visites, ils sont restés les uns pour les autres anonymes tout au long du processus et jusqu’au moment du finissage.
Ainsi appréhendée dans l’anonymat, la maison devient pour l’artiste le lieu de représentation de l’identité de ses occupants. Dans cet espace qui lui est étranger, il débute son habitation passivement, sans intervenir autrement que par l’observation, la prise de notes, la production de photos, de dessins, etc. Il s’immerge dans l’ensemble des éléments matériels et sensoriels qui l’entourent, et qui répondent à des codes extérieurs au cadre de références de sa propre vie privée. Comment ce lieu collectivement intime et vulnérable est-il en interrelation avec les identités individuelles de ses occupants de même qu’avec l’identité de leur clan familial ? La cueillette de documentation et de réflexions faite petit à petit sur les lieux sert à nourrir le développement à long terme d’un corpus multidisciplinaire dont les formes se précisent au fil des séjours et encore longtemps après.
« J’étais un fantôme qui occupait la maison et qui observait ses occupants en retard ou en avance, leur présence décalée de quelques heures, comme une sorte d’écho. J’imagine qu’ils percevaient peut-être quelque chose de semblable avec moi, la personne qui visite leur maison une fois par mois et qui ne laisse aucune trace, ou très peu. Ils ont pu m’oublier aussi, c’est possible. J’ai passé de longues heures dans chaque pièce, attentif aux sons, aux textures, aux objets, aux photographies, aux caractéristiques de chaque petite chose insignifiante, aux grincements de la chaise berçante, aux bouts de papiers, aux habitudes qui changent, au mouvement soudain d’un meuble, aux dessins d’un enfant, à l’ajout d’un article de décoration, au déjeuner laissé sur l’îlot à la hâte, aux anniversaires, aux traces laissées sur le tapis de la chambre, aux messages écrits à la main, à l’odeur du pain frais, au passage des saisons, au calendrier, aux listes des choses à faire, aux articles pour enfants qui changent et passent et à ma présence transcendante. Je me suis attaché, comme un filigrane, à cette famille qui m’est encore étrangère et que je n’ai jamais vraiment rencontrée. Je conserve une quantité surprenante d’expériences ; chaque porte ouverte donnait sur trois autres, créant un réseau infini de sens… J’étais en relation, mais pas en contact. »
— Christian Bujold