Depuis 2010, Verticale — centre d’artistes (VCA) développe une programmation hors les murs accessible en différents points d’intérêt de l’île Jésus. Sans être complètement nomade, VCA se déplace néanmoins pour chacun de ses projets. Seul centre d’artistes dans le vaste espace lavallois, sa mobilité est devenue à la fois une réalité organisationnelle, une position artistique et une condition de création. VCA circule donc, comme la majorité des habitant·e·s et des travailleur·euse·s de Laval, sur un réseau routier qui domine les paysages1 et façonne les modes de vie2. C’est ainsi qu’une relation de tension paradoxale entre l’environnement et lui semble s’être installée. Le mouvement s’est imposé en tant qu’enjeu majeur3 ; un peu comme si les normes du transport entendu au sens strict freinaient l’élan du transport entendu au sens figuré, celui qui s’éprouve vivement. Le déplacement physique, qui conduit vers l’ailleurs et autorise la transformation, en est ainsi venu à revêtir un caractère onirique, qui concerne davantage une évasion de l’esprit.
Dans cette perspective, en route vers d’autres lieux et non-lieux4, VCA appelle les artistes à s’adonner aux prémonitions ou à l’examen de l’économie fantasmatique du transport. Le rapprochement, bien qu’équivoque, entre le déplacement et l’onirisme résonne fortement dans l’imaginaire social. Il se ramifie dans différents domaines de la science et de la culture (économie, ingénierie, urbanisme, psychologie, psychanalyse, anthropologie, mythologie, culture populaire, science-fiction, marketing, design, etc.)5.
Quels rêves et désirs, quelles utopies et quelles dystopies d’hier et d’aujourd’hui sous-tendent les conquêtes, les projets, les réseaux de circulation, les véhicules, leurs industries6 et leurs phénomènes vernaculaires ? Les nombreuses lubies qui ont marqué et continuent de porter l’histoire américaine — comme l’impérialisme spatial7 8 9 et guerrier, le mythe pionnier10, la prospérité banlieusarde11 12 13 14 15 16, la libre circulation du capitalisme globalisé17 — relèvent bien d’idéologies à laquelle l’art peut répondre18 19 20 21 22. En tant qu’expression de l’inconscient, le rêve permet une évaluation du passé, une digestion mentale de la réalité vécue, individuelle ou collective23. Car l’onirisme comme mouvement de pensée ouvre aussi sur une temporalité du futur, celle de l’imagination, de l’idéation, de l’anticipation. Faire se mouvoir le monde, dévier la linéarité du progrès de paradoxes et de perplexités, voilà la grande force d’une posture qui embrasse le transport imaginaire, la spéculation, le surréel. Comme l’art, il engage les potentialités d’une multitude de chemins24.
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1 TARKOVSKY, Andreï. (1972). Solaris.
3 « Dans la Suburbia, on ne marche pas, on conduit. La ville n’est plus à toucher et à sen- tir comme dans la flânerie, mais à distance, le lieu où la familiarité va sortir de l’étranger, mais aussi la folie et la totale singularité du plus proche, comme dans l’œuvre de J. G. Ballard. » BEGOUT, Bruce. (2013). Suburbia. Paris : Éditions Inculte, p. 46.
4 « Si un lieu peut se définir comme iden- titaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique dé- finira un non-lieu. » AUGÉ, Marc. (1992). Non- lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité. Paris : Le Seuil, p. 100.
5 ICI Radio-Canada Première. (24 juin 2017). « Les transports ». Bienvenue en 2067 [en ligne].
6 DOSTALER, Isabelle. (23 septembre 2013). « Le rêve de Bombardier ». La Presse [en ligne].
7 NASA. (2017). « Journey to Mars Over- view » [en ligne].
11 « Contraste : c’est aux entrées des villes, dans l’espace morne des grands ensembles, des zones industrialisées et des supermarchés, que sont plantés les panneaux qui nous invitent à visiter les 4 monuments anciens ; au long des autoroutes que se multiplient les ré- férences aux curiosités locales qui devraient nous retenir alors que nous ne faisons que passer. » AUGÉ, Marc. (1992). Non-lieux. In troduction à une anthropologie de la surmo dernité. Paris : Le Seuil, p. 94-95.
12 BEGOUT, Bruce. (2004). L’Éblouissement des bords de routes. Paris : Éditions Verticales, 144 p.
13 Selon les données de Statistique Canada et l’Institut de la statistique du Québec, Pélican International Inc. (http://www.pelicans- port.com/fr/propos-de-nous/qui-sommes- nous), une compagnie de conception et de fabrication de kayaks, de canots, de pédalos et de bateaux de pêche, serait l’un des 5 plus grands employeurs du secteur privé de Laval, avec 400 employé·e·s. Aussi, les « services moteurs » constitueraient le 2e plus grand secteur d’activité à Laval, représentant 25,8 % de celles-ci. Voir CHAMPAGNE, Sté phane. (30 mars 2017). « L’économie lavalloise en chiffres ». La Presse [en ligne].
14 ST-AMOUR, Stéphane. (28 septembre 2011). « Un leader de l’aéronautique choisit Laval ». Courrier Laval [en ligne].
19 « Vermilion Sands est la banlieue exo- tique de mon esprit », disait J. G. Ballard de son œuvre. Voir Vermillon Sands (1971) ainsi que les romans de la « trilogie de béton » : Crash ! (1973), L’île de béton (1974) et I.G.H. (1975).
20 RAJOTTE, Nelly-Ève. (2016). Claustrophobie des grands espaces.
21 HAYEUR, Isabelle. (2012). Castaway.
22 VIKERD, Brandon. (2013). Sputnik Returned.
23 « L’imaginaire social est ce rêve éveillé que les membres d’une société font, à partir de ce qu’ils voient, lisent, entendent, et qui leur sert de matériau et d’horizon de référence pour tenter d’appréhender, d’évaluer et de comprendre ce qu’ils vivent ; autrement dit : il est ce que ses membres appellent la réa- lité. » POPOVIC, Pierre. (2013). La mélancolie des Misérables. Essai de sociocritique. Montréal : Le Quartanier, « Erres Essais », p. 29.
24 « Imagination is the shortest route between any two conceivable points. » J.G. Ballard en entrevue : « 1984 : Thomas Frick ». Dans SELLARS, Simon et Dan O’HARA (éd.). (2012). Extreme Metaphors. Selected Inter- views with J. G. Ballard, 1967-2008. Londres: Fourth Estate, p. 188.
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